Lien traumatique : Pourquoi restons-nous attaché·es à ce qui nous fait mal ?

Dans le domaine de la psychologie des relations, il existe un phénomène paradoxal et souvent méconnu : le trauma bonding, ou lien traumatique. Ce terme désigne un attachement émotionnel intense qui se développe entre une victime et son agresseur dans un contexte de violence, d’abus ou de manipulation répétée. Ce mécanisme puissant peut piéger une personne dans une relation néfaste, la poussant à confondre abus et affection et rendant toute tentative de rupture difficile. Dans cet article nous allons découvrir ce qu’est le trauma bonding, quel est le lien avec l’attachement précoce et explorer quelques pistes pour en sortir. 

Lien traumatique

Qu’est-ce que le trauma bonding ?

Le trauma bonding repose sur un mécanisme de renforcement intermittent, bien connu en psychologie comportementale. L’agresseur alterne des phases de violence (physique, verbale ou psychologique) avec des moments de réconfort, d’excuses ou d’affection. Cette alternance crée chez la victime un état d’attente anxieuse, comparable à celui induit par les jeux de hasard : l’attachement devient conditionné par l’anticipation irrationnelle d’un “bon moment” qui viendrait apaiser la douleur. 

Ce cycle est particulièrement puissant parce qu’il active des circuits cérébraux liés à la récompense et à la survie. Chaque “récompense” (un compliment, une excuse, une attention) arrive de façon imprévisible et irrégulière, ce qui, paradoxalement renforce le comportement de la victime : elle s’accroche à l’espoir que l’autre va changer, que la souffrance n’est que temporaire. Le système nerveux s’adapte à ce stress chronique, au point que l’instabilité devient une norme intérieure.

Le rôle de l’attachement précoce

Ce phénomène de lien traumatique est encore plus complexe lorsque l’on considère les théories de l’attachement. 

Une personne ayant connu des relations parentales instables ou marquées par la négligence ou l’ambivalence affective et ayant donc généralement développé un style d’attachement insécure, sera plus susceptible de confondre amour et douleur. Elle apprend, souvent inconsciemment, que l’amour est quelque chose qu’il faut mériter, attendre ou supporter. Cette “carte mentale” est ensuite réactivée dans les relations abusives à l’âge adulte qui peuvent leur sembler « familières », voire réconfortante, car elle rappelle les premiers affectifs vécus. 

Ainsi, ce n’est pas un “manque de volonté” qui maintient la victime dans la relation, mais un système psychique complexe mêlant peur, espoir, culpabilité et mémoire émotionnelle. Rompre un lien traumatique revient à se détacher non seulement d’une personne, mais aussi d’un mode de fonctionnement profondément ancré.

Pourquoi est-il si difficile de partir ?

Sortir d’un lien traumatique est extrêmement difficile pour plusieurs raisons :

  • La dissonance cognitive : lorsqu’une personne investit émotionnellement dans une relation, elle éprouve un besoin de cohérence entre ce qu’elle ressent et ce qu’elle vit. Pour réduire la douleur mentale, elle peut se convaincre que “ce n’est pas si grave” ou que “tout le monde a des défauts”. Ce mécanisme de défense renforce l’attachement et rend la prise de conscience encore plus douloureuse. 
  • Espoir de changement : Le souvenir des moments positifs entretient l’illusion que la relation peut devenir saine.
  • Culpabilité et honte : L’agresseur fait souvent porter la responsabilité de la violence à la victime, ce qui renforce la dépendance. 
  • Isolement social : L’entourage est souvent mis à distance, laissant la victime sans soutien extérieur.

Ajouté à la perte de confiance et d’estime de soi, cela réduit la capacité de la victime à demander de l’aider ou à envisager une autre réalité. La peur de l’inconnu devient alors plus forte que la souffrance connue 

Comment se reconstruire ?

La première étape est la reconnaissance : mettre des mots sur ce que l’on vit permet de briser le cycle de la honte et du silence. Un accompagnement thérapeutique peut aider pour reconstruire l’estime de soi, identifier les schémas répétitifs, se réapproprier ses émotions et restaurer un sentiment de sécurité intérieure. Il s’agit de réapprendre que l’amour véritable ne fait pas mal — et qu’il est possible d’exister en dehors du chaos.

Conclusion

Le trauma bonding est un lien paradoxal, né de la douleur et de l’intermittence émotionnelle, qui enferme la victime dans une relation de dépendance. Le comprendre, c’est déjà amorcer une démarche de libération. Ce n’est pas une preuve d’amour de rester attaché à ce qui fait mal, mais souvent le symptôme d’un système psychologique profondément enraciné qu’il est possible de déconstruire avec le temps et l’aide adéquate.

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  • Dutton, D. G., & Painter, S. (1981). “Traumatic Bonding: The Development of Emotional Attachments in Battered Women and Other Relationships of Intermittent Abuse”. Victimology: An International Journal, 6(1-4), 139–155.
  • Herman, J. L. (1992). Trauma and Recovery. Basic Books.

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