Focus dégoût : comprendre et apprivoiser cette émotion méconnue

Parmi l’ensemble des émotions humaines, le dégoût est sans doute l’une des moins explorées et pourtant l’une des plus fascinantes. Souvent perçu comme une simple réaction de rejet – un haut-le-cœur, une grimace, un mouvement de recul – il s’agit en réalité d’un mécanisme émotionnel profondément ancré dans notre évolution. Loin d’être une réaction « irrationnelle », le dégoût a accompagné l’humanité depuis ses origines pour nous protéger des dangers, orienter nos comportements et façonner nos normes sociales. Le comprendre en profondeur permet non seulement de mieux l’accueillir, mais aussi de lui redonner sa juste place dans notre vie émotionnelle.

Dégoût

Pourquoi ressent-on du dégoût ?

Le dégoût trouve son origine dans les toutes premières formes d’adaptation humaine. À l’époque où survivre impliquait d’éviter les substances dangereuses – aliments toxiques, eau contaminée, animaux malades – la capacité à ressentir une forte aversion représentait un avantage évolutionnaire majeur. Cette réaction rapide et instinctive permettait d’éloigner l’organisme de sources de contamination potentielle. Aujourd’hui encore, ce mécanisme se manifeste automatiquement face à des stimuli sensoriels comme les odeurs fortes, la décomposition ou certains visuels dérangeants.

Mais au fil du temps, cette émotion s’est enrichie d’une dimension plus complexe. Le dégoût ne se limite plus à des éléments physiques : il peut émerger face à des comportements ou à des situations sociales. Par exemple, une injustice flagrante ou un acte perçu comme irrespectueux peut provoquer un sentiment de répulsion morale. Cette évolution s’explique en partie par les transformations de l’insula, une région cérébrale impliquée dans la perception du goût, de la douleur et de nos états internes. Ce qui est « dégoûtant » pour l’être humain n’est donc pas seulement ce qui est physiquement menaçant, mais aussi ce qui menace symboliquement son intégrité, ses valeurs ou ses repères sociaux.

Quelle est la fonction du dégoût ?

1. Protéger le corps avant tout

La première fonction du dégoût est profondément biologique : éviter les dangers. Ce système joue un rôle central dans ce qu’on appelle le « comportement immunitaire », une sorte de première ligne de défense qui nous pousse à nous éloigner des agents potentiellement nocifs avant même que notre système immunitaire physiologique n’entre en action. Cette réaction se déclenche de manière fulgurante : un simple changement d’odeur ou d’apparence suffit à provoquer un rejet instinctif. Cette fonction, encore active aujourd’hui, contribue naturellement à réduire notre exposition aux agents pathogènes.

2. Maintenir l’intégrité morale et sociale

Au-delà de l’aspect physique, le dégoût a acquis un rôle relationnel et moral. Il nous informe qu’une situation, un comportement ou une attitude dépasse nos limites personnelles ou vont à l’encontre de nos principes. Cette dimension émotionnelle aide à structurer les règles et les normes collectives. Par exemple, dans la plupart des cultures, des comportements perçus comme irrespectueux ou transgressifs déclenchent une forme de dégoût moral, poussant à l’exclusion du comportement ou à la mise en place de normes pour prévenir sa récurrence. Ainsi, le dégoût participe activement à l’organisation sociale et à la cohésion du groupe et agit comme un gardien de nos valeurs.

3. Guider nos frontières personnelles

Le dégoût agit enfin comme un outil de délimitation. Il nous aide à identifier ce qui est bon pour nous et ce qui ne l’est pas. Il trace la frontière entre ce qui nous semble approprié, sain ou acceptable, et ce qui ne l’est pas. Cette fonction est particulièrement importante dans les relations interpersonnelles : elle nous alerte lorsque quelque chose « ne nous convient pas ». Elle participe à la construction de notre identité psychique. 

Ainsi, c’est une émotion profondément liée à la préservation de soi, tant sur le plan physique que psychologique. 

Quels sont les effets du dégoût ?

Lorsque le dégoût se manifeste, il entraîne une série de réactions immédiates. 

Sur le plan physique

Le dégoût peut provoquer des nausées, un reflux, une crispation musculaire, une accélération du rythme cardiaque ou encore un mouvement instinctif de recul. Ces réactions visent toutes à diminuer l’exposition au stimulus perçu comme dangereux. Elles témoignent du lien étroit entre nos émotions et nos réflexes corporels.

Sur le plan émotionnel et cognitif

Cette émotion influence nos processus de décision. Il va nous pousser à nous éloigner, à refuser ou à rejeter ce qui est considéré comme menaçant ou inapproprié. Il peut parfois conduire à une réaction plus tranchée et moins nuancée, ce qui peut être utile en situation de danger, mais plus problématique dans le cadre social. Par exemple, un fort dégoût moral peut réduire notre capacité d’empathie envers une personne dont le comportement nous heurte, ce qui peut compliquer les relations.

Sur le plan relationnel

Enfin le dégoût peut avoir un impact direct sur la qualité des interactions. Lorsqu’il n’est pas exprimé ou compris, il peut entraîner une forme de distance émotionnelle ou un évitement prolongé. Il n’est pas rare que des malentendus ou des tensions naissent simplement parce qu’une sensation de dégoût n’a pas pu être verbalisée ou intégrée.

Comment apprivoiser le dégoût ?

1. Reconnaître sa légitimité

La première étape dans l’apprivoisement du dégoût consiste à accepter qu’il s’agit d’une émotion utile. Trop souvent, nous jugeons nos propres réactions comme « exagérées » ou « irrationnelles », ce qui ne fait qu’augmenter l’inconfort. En reconnaissant que cette émotion a une raison d’être, il devient plus simple de la prendre en compte et d’apaiser son intensité.

2. Identifier sa source et ce que cette émotion cherche à protéger

Prendre un moment pour analyser ce qui a déclenché le dégoût permet de comprendre ce qu’il révèle. 

  • Qu’est-ce qui me dégoûte exactement ? La situation ? L’image ? Un comportement ?
  • Est-ce une menace réelle ou symbolique ?
  • Est-ce un dégoût physique, social ou moral ?

En nommant précisément ce qui provoque la réaction, on clarifie le message de l’émotion et on évite de l’étendre à des domaines qui ne sont pas concernés.

3. Explorer ses valeurs

Lorsque le dégoût est d’ordre moral, il révèle souvent des valeurs essentielles qui ont été touchées : respect, justice, intégrité, honnêteté. Identifier ces valeurs permet de se reconnecter à ce qui est important pour soi et de mieux comprendre ce que l’on cherche à protéger. Cela permet également de communiquer plus clairement dans les relations : au lieu de dire « ça me dégoûte », on peut par exemple dire « ce comportement heurte mes valeurs de respect ».

4. Cultiver des outils de régulation émotionnelle

La respiration profonde, l’ancrage corporel, l’auto-compassion ou encore les techniques de pleine conscience sont particulièrement utiles pour apaiser la réaction physiologique intense souvent associée au dégoût. Elles permettent de redescendre en intensité et de reprendre une prise sur l’expérience émotionnelle.

5. Communiquer avec authenticité

Dans les relations, verbaliser son ressenti permet d’éviter des tensions inutiles. Exprimer son inconfort avec douceur et précision aide non seulement à maintenir une relation saine, mais aussi à mieux comprendre l’autre. Cette communication authentique peut transformer une émotion difficile en un point de départ vers un échange plus profond.

 

Pour plus d’informations sur la communication, n’hésitez pas à consulter cet article dédié à la communication non violente.

Conclusion

Le dégoût est une émotion puissante, complexe et essentielle. Il nous protège, nous guide et nous informe. Loin d’être une simple réaction de rejet, il reflète notre histoire évolutive, notre sens moral et nos besoins fondamentaux. En apprenant à le comprendre, à l’écouter et à le nommer, il devient possible de l’apprivoiser et d’en faire un allié précieux dans notre vie quotidienne. Comme toute émotion, le dégoût n’est pas là pour nous limiter, mais pour nous aider à mieux nous connaître et à prendre soin de nous.

En faisant une place à cette émotion, elle devient non plus une barrière, mais bien un guide.

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